Allô la police, Tendances

Garamond, la classe et l’humanisme

Si vous vous souvenez du « Think different. » d’Apple, imaginé en 1997 par une agence californienne, vous devez encore avoir en tête sa version initiale, en blanc sur fond noir et sous la célèbre pomme, au cœur arc-en-ciel. Une légende marketing pour une police qui n’avait pourtant pas grand-chose de différent ou en tout cas de neuf : la Garamond du slogan est l’une des plus vieilles typos du monde. Et cocorico : elle est française.

C’est un peu la maman des typos, et même l’arrière-arrière-arrière-et-j’en-passe grand-mère : la Garamond traîne ses ronds et ses ligatures depuis bientôt cinq siècles, ce qui ne la rend pas tellement plus jeune que l’imprimerie elle-même. Et si elle reste infiniment classe aujourd’hui, ses origines quasi royales n’y sont peut-être pas pour rien.

Soyons clair : ce n’est pas un prince de haut rang qui a lui-même conçu la Garamond avec ses petits doigts mais un graveur français, Claude Garamont avec un t, pas avec un d, me direz-vous – et bravo, vous avez l’œil. Si le nom de la typo s’écrit en effet avec un d au bout, c’est en référence au pseudonyme latin de son créateur, Garamundus.

La typo du savoir total

Au tournant des années 1540, le parisien Claude Garamont fait partie des stars d’un métier à la pointe de la technologie et de l’innovation : tailleur et fondeur de caractères. Les besoins sont immenses depuis que ce Gutenberg a révolutionné le livre avec ses caractères mobiles au siècle précédent. L’imprimerie est une industrie avide qui réclame toujours plus de formes différentes, pour toujours plus d’usages. L’humanisme est à son comble, les érudits redécouvrent le grec et l’hébreu, traduisent des textes, réclament des versions bilingues, mieux maquettées et plus lisibles, plus économiques aussi… Il faut des typos et encore des typos pour nourrir cette soif de savoir.

Et c’est bien pour ça que François 1er vient chercher Claude Garamont, dont il a apprécié les caractères grecs, les Grecs du Roy. Mission : dessiner la police de l’humanisme, tout simplement. Un œil sur ce qui se fait en Italie, un autre sur la magnifique écriture du calligraphe et maître écrivain de la Cour, le crétois Ange Vergèce, Garamont prend sa règle et son compas et se met à l’ouvrage. En quelques mois, les poinçons et les moules sont prêts : Garamont a imaginé une police élégante, facile à lire, aussi agréable à l’œil qu’une belle écriture manuscrite mais fine, droite et géométrique.

Une typo à la frontière de l’humain et de la science en somme, tout en rond, en courbes, tout en équilibre et mesure – bref, la traduction même de l’idéal humaniste.

Succès absolu

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ça marche. La Cour de France en fait la police de ses publications officielles, les imprimeurs suivent. Les œuvres de Ronsard ou de Rabelais sont publiées en Garamond et quand Panurge fait rire la France entière, c’est grâce aux poinçons de Claude. À sa mort, en 1461, c’est un Français installé à Anvers, l’imprimeur Christophe Plantin, qui achète l’ensemble des matrices originales, aujourd’hui exposées dans le musée qui porte son nom.

Plantin est l’un des plus puissants éditeurs de son temps : grâce à lui, la Garamond conquiert l’Europe pour deux bons siècles, mettant au rencart toutes les illisibles caractères gothiques, au profit de ses élégants caractères romains, dont une version italique qui séduit la planète entière. Typo des livres savants et des actes officiels, elle sert autant à composer l’Édit de Nantes que l’Éloge de la Folie d’Érasme.

Et puis la Garamond disparaît ou presque pendant deux siècles avant de connaître une nouvelle jeunesse depuis le début du 20e siècle.

Toujours attachée à ses origines littéraires, elle sert surtout dans l’édition. Star des éditions de La Pléiade, typique des ouvrages jeunesse ou des livres de poche, elle se permet pourtant quelques échappées dans le monde de la com’ et du marketing, dont Apple qui choisit de faire du neuf avec du vieux – pas un hasard : 1997, c’est aussi le moment où la boîte à la pomme fait exactement la même chose en interne, en rappelant Steve Jobs…

Auteur


Jean-Christophe Piot

Jean-Christophe Piot

Consultant - Rédacteur partenaire